« L'ampleur du recul de l'illettrisme est une surprise » (Christian Janin, ANLCI)

D'abord, un élément de contexte qui vient rappeler l'ampleur de la performance observée par l'Insee entre l'enquête IVQ de 2011 et l'enquête FLV de 2022, dont sont issus les chiffres révélés ce 22 avril : en 2019, le rapport Janin-Hinnekint commandé par la ministre du travail Muriel Pénicaud affichait en sa recommandation n° 4 un objectif de recul de l'illettrisme de 20 % à l'horizon 2023. À 1 400 000 aujourd'hui contre 2 500 000 en 2011, on frôle les 45 %. Le président de l'ANLCI Christian Janin ne s'en cache pas, un tel « gap » est une surprise. À tel point qu'entre modestie et prudence, le président salue l'engagement des nombreux partenaires de l'ANLCI, tout autant qu'il annonce que l'Observatoire de l'illettrisme va maintenant « faire tourner les machines pour affiner la photo. » Objectif : mieux comprendre les raisons de ce succès et tenter d'expliquer pourquoi certaines enquêtes régionales révèlent des taux nettement supérieurs. Reste que tout n'est pas inexplicable et que l'Insee pointe déjà l'effet positif du renouvellement générationnel et de l'allongement des scolarités pour justifier les progrès observés.

Outillage et sécurisation

Pour Hervé Fernandez, directeur général de l'ANLCI, il faut aussi signaler l'apport des outils de diagnostic. Parmi lesquels Eva, outil numérique de positionnement des compétences de base porté par l'agence, et Ev@gill, outil d'évaluation des situations d'illettrisme en milieu professionnel, prolongé par la « Boîte à outils », sorte de vademecum à destination des entreprises, Opco et organismes de formation pour accompagner les salariés en situation d'illettrisme et d'illectronisme vers la formation et sécuriser leur parcours. Ce qui a changé depuis 2011, c'est aussi une équipe passée de 12 à 36 salariés, dont 18 chargés de missions régionaux à temps complet, qui assurent depuis 2022 la mise en œuvre des priorités territoriales. De fait, la sécurisation de l'Agence depuis la présidence de Christian Janin débutée en 2019 a apporté la « stabilité et le cadre pérenne »  longtemps réclamés, apprécie Hervé Fernandez. De même souligne-t-il l'impact positif des plans régionaux d'investissement dans les compétences, qui ont eux aussi contribué à la sécurisation de la lutte contre l'illettrisme en garantissant des places de formation.

De l'illettrisme à l'illectronisme

Sans surprise en revanche, l'enquête confirme que les difficultés se combinent : parmi les personnes en difficulté avec l'écrit, plus de 6 sur 10 le sont également en calcul et 14 points les séparent de l'ensemble des 18-64 ans en matière d'usage d'internet dans les 3 derniers mois. Pour Christian Janin, c'est l'occasion de rappeler que le développement du numérique ne réduit pas le besoin de compétences de base en lecture et écriture, contrairement à certaines attentes. Ceci d'autant plus que l'évolution rapide et permanente des technologies numériques vient perturber les « stratégies de contournement »  développées par les personnes en situation d'illettrisme. Mais Hervé Fernandez le pointe, le numérique est aussi une opportunité, comme en témoigne l'application de traitement automatique de la parole pour l'apprentissage de la lecture et de l'écriture pour les adultes (Tapalea), en cours de développement dans le cadre d'une recherche-action conduite par le didacticien des langues et sociolinguiste Hervé Adami.

Besoins de diagnostics

Comme pour l'illettrisme, la lutte contre l'illectronisme va demander d'affiner les diagnostics. « Aujourd'hui, nous en sommes encore à l'étape du déclaratif et l'on ne mesure pas l'illectronisme par des exercices ou des situations concrètes comme nous le faisons pour l'illettrisme », regrette le directeur de l'ANLCI. Et de souligner que grâce à ses nombreux partenaires, l'agence pourrait aider à introduire dans les prochaines enquêtes Insee des modules d'évaluation des compétences numériques de base.

Avec l'espoir qu'il ne faudra, cette fois ci, pas attendre 12 ans pour attendre la mise à jour de l'enquête FLV 2022. « En 2028, ce serait déjà bien », sourit Christian Janin.

• Agence nationale de lutte contre l'illettrisme : anlci.gouv.fr/

Source : Centre Inffo - 03 05 2024